
© CHRISTOPHE MARTIN
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Au cœur de l’Abbaye royale de Fontevraud, l’une des plus vastes d’Europe, un musée d’art moderne est né. Porté par la collection Cligman, il propose un dialogue inédit entre patrimoine millénaire et créations modernes. Dominique Gagneux, sa directrice, défend un projet exigeant et ouvert : faire résonner la mémoire des pierres avec la vitalité de l’art moderne et contemporain.
Qu’est-ce qui fait, selon vous, la singularité du musée d’Art moderne de Fontevraud dans le paysage culturel français ?
Dominique Gagneux : Ce qui fait d’abord la singularité du musée, c’est sa localisation au cœur de l’Abbaye royale de Fontevraud. On n’a pas d’équivalent, à ma connaissance, d’un musée créé ex nihilo à partir d’une collection privée, sans lien historique ni affectif avec le site, et installé dans un monument d’une telle ampleur.
Cette rencontre produit quelque chose d’inédit : un monument patrimonial millénaire et une collection moderne dialoguent sans se confondre. On pourrait comparer cela à l’ajout d’une nouvelle « attraction culturelle » dans un complexe déjà riche de propositions : concerts, installations, hôtel, restaurant étoilé, patrimoine architectural. Mais ici, l’« attraction » est un musée, avec une identité forte et une ambition nationale, voire internationale.
C’est cette hybridation qui, je crois, fait progresser le paysage culturel français : elle introduit un modèle novateur, où un monument historique et des œuvres muséales ne se superposent pas, mais s’épaulent pour enrichir l’expérience du visiteur.
La collection Cligman constitue le musée. Comment construisez-vous vos expositions pour en révéler toute la richesse et surprendre les visiteurs ?
La collection Cligman a été rassemblée par un couple, Martine et Léon Cligman, dont le regard est singulier, éclectique mais d’une grande cohérence. Elle rassemble à la fois des chefs-d’œuvre modernes – Richier, Derain, Van Dongen… – et des objets ethnographiques, des antiquités, des œuvres plus inattendues.
Notre rôle est de rendre perceptible cette cohérence, tout en surprenant. Nous avons donc refusé le modèle du musée « beaux-arts » classique, qui enfermerait les œuvres dans des catégories. Nous jouons plutôt sur le mélange des genres, comme on le ferait dans un intérieur privé.
C’est une tendance forte dans la muséographie contemporaine, initiée notamment par Jean-Hubert Martin : confronter des univers différents, décloisonner, créer des rapprochements qui éveillent la curiosité. Cela peut être risqué quand les confrontations ne sont pas suffisamment travaillées – mais cela n’est pas le cas dans ce musée ! – et cette démarche stimule le regard. Elle invite le visiteur à faire sa propre interprétation plutôt que de recevoir un discours académique.
Fontevraud, c’est avant tout une Abbaye royale. Comment faites-vous dialoguer le patrimoine spirituel et architectural avec l’art moderne exposé dans ses murs ?
C’est là tout l’enjeu : comment cohabiter avec un lieu monumental, chargé d’histoire et de spiritualité ? L’Abbaye attire déjà un public important et l’ouverture du musée nous a permis d’accroître ce visitorat, notamment grâce à des temps forts comme l’exposition Monet en partenariat avec le musée Marmottan-Monet. Le musée profite donc de la force d’attraction du site, tout en l’enrichissant.
Mais cette cohabitation est exigeante. Le monument impose sa grandeur : il faut trouver la juste complémentarité. C’est ce que nous avons expérimenté avec l’exposition Zeugma de Romain Bernini. Ses œuvres, placées dans différents espaces de l’Abbaye et du musée, créaient des échos et des contrastes, jouant du lien entre les deux univers.
Je crois que c’est dans ce dialogue entre le vertical – la spiritualité, la monumentalité de l’Abbaye – et l’horizontal – la diversité et l’hétérogénéité des objets du musée – que réside l’expérience unique de Fontevraud.
Venir au musée, c’est aussi découvrir un vaste ensemble patrimonial. Quelle place occupe le musée dans l’expérience globale de Fontevraud ?
Le musée s’inscrit dans ce que j’appellerais une œuvre d’art totale. L’Abbaye, son architecture, sa programmation musicale, son hôtel et sa gastronomie, tout concourt à une expérience unique. Le musée vient y ajouter sa dimension artistique et intellectuelle.
Il ne se contente pas d’« enrichir » l’offre : il transforme la visite en une expérience plus dense, plus complète, plus surprenante aussi. L’art moderne incite les visiteurs à regarder le patrimoine différemment. En retour, le cadre historique confère aux œuvres une profondeur inattendue. C’est un dialogue permanent qui fait de Fontevraud une destination culturelle singulière.
Attirer un public varié, tout en proposant une programmation exigeante : est-ce un équilibre difficile à tenir ?
Oui, c’est un exercice d’équilibriste. Le public de Fontevraud est d’abord un public touristique, souvent familial, qui ne correspond pas exactement à celui d’un musée d’art moderne. De plus, ce jeune lieu doit aussi convaincre un public d’amateurs et de professionnels de l’art, habitués à des programmations plus pointues.
Ma stratégie est d’avancer sur deux jambes : d’un côté, satisfaire la curiosité du grand public par des accrochages de grande qualité mais stimulants et accessibles ; de l’autre, inscrire le musée dans le réseau national et international de l’art, en attirant les spécialistes.
C’est aussi une réponse aux orientations actuelles du ministère de la Culture, qui insiste sur la diffusion de l’art dans les territoires. Fontevraud, en milieu rural, devient ainsi un lieu où l’on peut conjuguer tourisme patrimonial et exigence artistique. C’est également une demande de la Région qui a initié la création du musée à Fontevraud et continue de soutenir son action.
La médiation est devenue un enjeu clé pour tous les musées. Quels dispositifs privilégiez-vous à Fontevraud ?
Pour moi, la première des médiations, c’est l’accrochage des œuvres et la scénographie. J’ai tenu à travailler avec Constance Guisset, une designer ayant un grand sens de l’objet. Elle a imaginé des dispositifs de cimaises très doux, comme un vêtement posé sur les murs de tuffeau. Cela crée une atmosphère intime, presque domestique, dans un bâtiment qui, à l’origine, est une écurie !
Nous avons ensuite multiplié les expériences : concerts, spectacles de danse, improvisations théâtrales, parcours œnologiques (Une heure, une œuvre, un vin), dégustation de thé. Ces croisements entre arts stimulent l’attention autrement.
Enfin, nous avons produit un document FALC (Facile À Lire Et À Comprendre), destiné aux personnes en situation de handicap cognitif. C’est une démarche innovante, qui répond à un vrai besoin et qui a ensuite été reprise par l’Abbaye. C’est une belle illustration de ce que peut être une médiation réussie : inventive, inclusive et adaptée à tous les publics.
Enfin, si vous deviez pointer les leviers les plus efficaces pour accroître l’audience du musée, lesquels citeriez-vous ?
Les expositions phares restent un levier évident : Monet a été un accélérateur spectaculaire. Mais je crois que notre force réside dans la combinaison. C’est l’ensemble de Fontevraud – patrimoine, musique, art, gastronomie – qui compose une expérience unique.
Le musée doit être à la fois une composante et un moteur de cette Gesamtkunstwerk, cette œuvre d’art totale. Pour cela, il faut encore gagner en lisibilité, en cohérence, dans la programmation comme dans la communication.
J’ajouterais un dernier point : les artistes eux-mêmes témoignent de la richesse du lieu. Beaucoup, d’Alice Anderson et Agnès Thurnauer à Pauline Bazignan, Romain Bernini, Bachelot&Caron et Jean-Marie Bytebier, ont tous été sensibles à la dimension spirituelle qui traverse à la fois l’Abbaye et la collection Cligman. C’est cette résonance, entre patrimoine et modernité, entre monumental et intime, qui attire, qui intrigue et qui fidélise le public.
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Percutante, distrayante, argumentée, son histoire de l’Art exploite le meilleur d’un réseau social qui répond à des règles de communication spécifiques. Trois fois par mois, cette jeune passionnée d’art raconte l’histoire d’une artiste femme, sur son compte Instagram suivi par près de 27 000 abonnés. Elle nous dit comment.
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Margaux Brugvin : J’ai choisi d’investir Instagram car s’y trouvaient déjà les personnes potentiellement intéressées par mon contenu. Si j'avais créé un blog ou un podcast, j'aurais dû en faire la publicité sur Instagram et convaincre les gens de quitter ce réseau social pour migrer vers un autre média.
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Par FRANÇOIS BLANC
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