
À Arles, la photographie n’est pas qu’un festival : c’est un langage commun, un moteur de création et un lien vivant avec un territoire. Dans cet entretien, Françoise de Panafieu revient sur l’ambition internationale, l’ancrage local, les mutations de l’image et l’audace nécessaire pour demain.
En quoi les Rencontres d’Arles incarnent-t-elles à la fois une ambition culturelle internationale et une aspiration profondément ancrée dans le territoire arlésien ?
François de Panafieu : Les Rencontres d’Arles possèdent une singularité rare : elles sont à la fois un événement d’envergure mondiale et une manifestation profondément enracinée dans leur territoire d’origine. C’est un équilibre délicat, mais qui fait toute leur force.
D’un côté, le festival attire chaque été près de 160 000 visiteurs venus du monde entier, dont 50 % d’étrangers lors de la semaine d’ouverture. Quarante-sept expositions sont déployées dans une vingtaine de lieux patrimoniaux, parfois insolites, et font dialoguer photographie contemporaine, archives et grands noms de l’histoire de l’image.
Cette dimension internationale est évidente : Arles est devenu un carrefour incontournable où se rencontrent artistes, commissaires, galeristes, éditeurs, journalistes et passionnés de photographie.
De l’autre côté, les Rencontres restent profondément ancrées dans l’âme arlésienne. Créées en 1970 par trois figures liées à la ville – le photographe Lucien Clergue, l’historien Jean-Maurice Rouquette et l’écrivain Michel Tournier – elles n’ont jamais cessé d’entretenir ce lien avec le territoire.
Les Arlésiens bénéficient d’un accès gratuit aux expositions, et de nombreux projets d’éducation artistique irriguent la vie locale. Je pense notamment à la « Rentrée en images », qui permet chaque année à 11 000 élèves de se familiariser avec la photographie.
Ajoutons les retombées économiques et sociales : le festival génère environ une centaine d’emplois saisonniers, souvent confiés à des personnes éloignées de l’emploi, et fait vivre toute une économie touristique.
Les hôtels, les restaurants, les commerces connaissent un regain d’activité pendant deux mois et demi. Mais tout cela se fait sans jamais trahir l’âme arlésienne, au contraire : le festival s’inscrit dans une tradition d’accueil et de transmission qui est consubstantielle à l’identité de la ville.
Quels sont, les traits marquants qui expliquent la réputation mondiale des Rencontres d’Arles cette singularité et cette reconnaissance, année après année ?
Cette réputation repose sur trois piliers. Le premier est l’exigence artistique. La sélection est à la fois rigoureuse et ouverte. Les visiteurs viennent chercher des découvertes, des émotions, une diversité d’approches : photographie artistique, documentaire, recherche expérimentale, nouveaux talents. Chacun peut trouver sa voie dans ce programme foisonnant, mais toujours construit avec une attention extrême à la qualité.
Le deuxième pilier, c’est Arles elle-même. La ville offre un cadre absolument unique. Découvrir une exposition dans le cloître Saint-Trophime, dans un ancien atelier industriel, dans un jardin public ou même dans un Monoprix transformé en espace d’exposition, c’est vivre une expérience qui ne ressemble à aucune autre. Les lieux dialoguent avec les œuvres et créent des situations de rencontre inoubliables.
Enfin, il y a ce que j’appellerais l’authenticité arlésienne. La ville a su préserver ses traditions vivantes – le costume, les processions, la figure de la Reine d’Arles – et cette vitalité culturelle imprègne le festival. Les visiteurs étrangers sentent immédiatement qu’ils ne sont pas dans une ville-musée, mais dans un territoire où l’histoire, le patrimoine et les traditions irriguent encore la vie quotidienne. Cet ancrage donne une profondeur particulière aux Rencontres.
Le Conseil d’administration réunit des profils diversifiés. En quoi cette pluralité de regards et d’expériences contribue-t-elle à la pertinence et à la vitalité des Rencontres ?
Notre Conseil d’administration est composé de personnalités remarquables venues d’horizons très différents : Françoise Nyssen, Constance Rivière, Colette Barbier, Véronique Cayla, des producteurs, des responsables de fondations, mais aussi les représentants de nos tutelles – la Ville, la Région, le Département, l’État. Toutes partagent deux passions : la photographie et Arles.
Cette pluralité enrichit les débats. Elle permet d’articuler exigence artistique, rigueur de gestion et ancrage territorial. Car il faut le rappeler : notre budget de 7,5 millions d’euros est financé à 72 % par des recettes propres, dont environ 15 % de mécénat. C’est exceptionnel dans le monde culturel, et cela nous confère une indépendance rare, souvent citée en exemple par le ministère de la Culture.
C’est aussi un conseil d’administration soudé, où les discussions peuvent être vives mais où prime toujours la recherche d’un équilibre. Nous avons la chance de travailler dans un climat de confiance et de complicité, partagé également avec l’équipe de direction artistique et administrative.
Comment imaginez-vous élargir encore la place de la photographie dans le dialogue avec les publics les plus variés ?
Nous devons élargir notre public sans jamais perdre de vue ce qui fait l’essence du festival : la photographie comme langage universel.
La force de la photographie est sa facilité d’accès. Contrairement à d’autres disciplines culturelles qui peuvent intimider, elle parle immédiatement à chacun. Tout le monde aujourd’hui pratique la photographie, ne serait-ce qu’avec son téléphone. Ce rapport direct crée une proximité et une envie de progresser, d’aller plus loin.
Nous travaillons donc à développer la médiation culturelle : auprès des scolaires, des publics éloignés, mais aussi auprès des jeunes générations qui voient dans la photographie un miroir de leur quotidien. Nous voulons montrer que l’image est un outil de compréhension et d’intégration : elle éclaire les questions de diversité, de mémoire, d’identité, mais aussi les grands enjeux contemporains comme le climat ou les mutations technologiques.
La photographie est un médium en constante mutation. Comment les Rencontres d’Arles parviennent-elles à rester à l’avant-garde, à capter ces évolutions et à les partager avec un large public ?
La photographie évolue sans cesse et nous devons accompagner ces bouleversements. L’exemple le plus frappant aujourd’hui est celui de l’intelligence artificielle. Nous avons choisi de la traiter frontalement : en informant le spectateur lorsqu’il regarde une image générée, en ouvrant le débat sur les enjeux juridiques et éthiques, notamment en matière de droit d’auteur.
Au-delà, une autre mutation passionnante est celle de la pluridisciplinarité. De plus en plus de photographes travaillent avec des chercheurs, notamment autour du changement climatique. On ne se contente plus de constater, on cherche à anticiper et à ouvrir des pistes de réponse. La photographie devient alors un outil de projection et de recherche, autant qu’un outil de mémoire.
C’est cela que nous voulons offrir au public : la possibilité de saisir ces évolutions, d’en comprendre les enjeux et d’y trouver sa place.
La médiation et la communication culturelle sont au cœur de la réussite de tels événements. Quelles stratégies privilégiez-vous pour toucher de nouveaux publics – notamment les jeunes générations et les publics éloignés de la culture ?
Nos stratégies reposent sur deux axes majeurs. D’abord, les partenariats éducatifs et sociaux : la « Rentrée en images » pour les scolaires, nos collaborations avec des associations locales, des programmes spécifiques pour les jeunes en difficulté ou les publics éloignés de la culture. Nous avons par exemple développé des projets avec Les Petits Frères des Pauvres, qui permettent d’amener à la photographie des publics qui n’y auraient pas spontanément accès.
Ensuite, la force du médium lui-même. La photographie, par son universalité, permet de toucher tous les publics. Elle invite à réfléchir sur la diversité culturelle, sur les minorités, sur les enjeux sociétaux, tout en offrant un accès direct, sans filtre. C’est une porte d’entrée idéale pour la médiation culturelle, et nous voulons continuer à la cultiver.
Enfin, à titre personnel : qu’est-ce qui vous inspire le plus dans votre rôle de présidente du Conseil d’administration des Rencontres d’Arles, et quelle vision souhaitez-vous transmettre pour l’avenir de ce festival ?
Ce qui m’inspire, c’est la capacité de rassemblement de ce festival. Rassembler des artistes venus du monde entier, des institutions culturelles, des mécènes, des élus, mais aussi et surtout les Arlésiens eux-mêmes. C’est cette alchimie entre le local et l’international qui me touche le plus.
Mon rôle est de veiller à la cohésion : entre les membres du conseil, entre l’équipe artistique et administrative, entre le festival et ses partenaires publics et privés. Je suis particulièrement attentive à maintenir ce climat de confiance avec les collectivités au premier rang desquelles la Ville d’Arles et son maire Patrick de Carolis qui nous suit avec une attention bienveillante et exigeante, des collectivités sans lesquelles le festival ne pourrait exister.
Quant à ma vision, elle tient en une phrase : « N’ayons pas peur. » Les mutations de la photographie peuvent parfois nous dérouter – intelligence artificielle, transformations technologiques, bouleversements du rapport à l’image – mais il ne faut pas les craindre. Le festival doit rester un lieu de découvertes, d’audace, un laboratoire où l’on confirme des talents mais où l’on ose aussi en révéler de nouveaux.
Je crois profondément que la photographie, dans ce qu’elle a de plus universel et de plus accessible, est un outil extraordinaire pour comprendre le monde, dialoguer avec lui et peut-être, humblement, contribuer à le faire évoluer. C’est ce que je souhaite pour l’avenir des Rencontres d’Arles.
DOMINIQUE ROLAND, DIRECTEUR DU CENTRE DES ARTS D’ENGHIEN
"La culture représente un des enjeux sociétaux majeurs en cette période."
AU TEMPS DU CORONAVIRUS, COMMUNIC'ART DONNE LA PAROLE À SES CLIENTS.
En cette période de confinement, quelles sont les actions du Centre des arts d’Enghien menées par vous et votre équipe pour poursuivre vos activités ?
Dominique Roland : Conscients du temps inédit que nous sommes amenés à vivre et qui influera inéluctablement sur “l’après”, nous nous devons de réinterroger ce qui composait nos fondamentaux.
Dès le premier jour, nous nous sommes organisés. Le télétravail a naturellement donné lieu à un nouvel environnement professionnel permettant de maintenir coopération et concertation. Il s’agit de travailler à une nouvelle manière de penser et d’agir ensemble. À ce titre, nous avons estimé qu’il était nécessaire d’opérer une nouvelle étude des publics.
Le numérique, au cœur ...
Lire la suite >>>PIERRE LEMARQUIS, NEUROLOGUE
"Le cerveau réclame d’être caressé, c’est la fonction de la musique et de l’art"
L’empathie esthétique, autrement dit l’amour de l’art, répond à des mécanismes neurologiques. En cette période de confinement, malgré les mesures qui font barrière à l’expérience de l’œuvre, Pierre Lemarquis explique pourquoi et comment le cerveau doit continuer à recevoir son content de musique et d’œuvres.
En tant que neurologue, particulièrement intéressé par le lien entre le cerveau et la musique, quelle ordonnance artistique prescrivez-vous dans une période de confinement qui exige de revoir ses habitudes et qui peut menacer notre équilibre ?
Pierre Lemarquis : « Don’t stop me now », du groupe Queen, présenterait les caractéristiques idéales, d’un point de vue scientifique : tempo rapide, à 150, et paroles lénifiantes, en majeur. Mais on peut, avec le même bénéfice neurologique, choisir d’écouter les ...
Lire la suite >>>Comment la Galerie Templon s’est-elle adaptée à cette période de confinement ?
Daniel Templon : Nous avons dû fermer nos espaces au public mais notre équipe est toujours mobilisée et l’activité de la galerie se maintient, essentiellement grâce au télétravail, à la fois à Paris et à Bruxelles. Pour contrer la fermeture précoce de nos expositions, nous avons lancé un site de visite virtuelle sur internet. Le public peut ainsi découvrir nos expositions de Norbert Bisky, Billie Zangewa et Jim Dine dans des conditions radicalement différentes, presque immersives, avec des images de très bonnes qualité, des vues de l’espace et des vidéos. Il suffit d’un clic pour découvrir tous les détails d’un tableau.
Quelle a été la réaction des collectionneurs et des amis de la Galerie Templon ?
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AU TEMPS DU CORONAVIRUS, COMMUNIC'ART DONNE LA PAROLE À SES CLIENTS.
En cette période de confinement, quelles sont les actions que vous menez avec votre équipe pour poursuivre vos activités ?
Christian Berst : Nous travaillons à l’après, car il est vital de se projeter, d’anticiper. C’est l’occasion de préparer certaines actions de promotion de nos artistes que nous nous promettions de développer depuis trop longtemps. Cela passe aussi par la mise en ligne d’un nouveau site web, la refonte de notre identité et de nos publications…
En quoi est-ce important pour la Galerie Christian Berst de maintenir le lien avec votre communauté de collectionneurs d’Art brut et vos publics ?
CB : Comme les vestales, nous devons entretenir la flamme. Ce qui avait du sens dans nos interactions sociales ...
Lire la suite >>>Par FRANÇOIS BLANC
Toutes ses contributions >>>
Par FRANÇOIS BLANC
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