© Éditions Flammarion
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Près de soixante ans après sa fondation, fidèle à sa ligne - bilingue, rigoureuse, curieuse - Artpress continue d’accompagner les artistes au plus près de leurs pratiques, tout en défendant les principes qui fondent sa raison d’être : l’histoire, la pensée critique, la liberté d’expression et la résistance à toute forme de conformisme.
Art 360 : Près de soixante ans après sa fondation, qu’est-ce qui, selon vous, fait la singularité d’Artpress dans le paysage éditorial français et international des revues d’art ?
Catherine Millet : Cette bizarrerie qui consiste à toujours préférer des pratiques artistiques très libres, formellement inventives, soumises au seul imaginaire de leurs auteurs, tout en accordant beaucoup d’importance à la réflexion théorique, à la philosophie, aux combats idéologiques, mais… sans y soumettre les pratiques.
Autrement dit, dans les pages consacrées à l’art comme dans celles consacrées à la littérature, ce sont les critères esthétiques qui prévalent, tandis que dans les éditos, certains dossiers, nous défendons fermement des principes : nécessité du rapport à l’histoire, liberté d’expression, lutte contre l’antisémitisme…
À cela s’ajoute qu’au sein de la presse artistique française, nous sommes sûrement les plus internationaux, aussi bien dans le choix de nos sujets que de nos auteurs. Le cahier « livres » excepté, toutes les pages sont bilingues français-anglais.
Une autre singularité d’Artpress est sa permanence ! Celle de sa charte graphique, la même, conçue par Roger Tallon à l’origine, et qui toujours s’adapte, sans rupture. Celle de ceux qui font la revue, pour une part les mêmes qu’au moment de la création, auxquels sont venus s’ajouter successivement de nouvelles générations, là non plus, sans rupture.
Depuis 1972, Artpress a accompagné et souvent précédé l’évolution des pratiques artistiques contemporaines. Comment définiriez-vous la manière dont vous avez su rendre compte des transformations de l’art et de ses débats au fil des décennies ?
Je n’oserais pas dire que nous avons « précédé » l’évolution des pratiques, mais comme nous sommes très proches des artistes, nous voyons venir des tendances formelles ou des centres d’intérêt très tôt, avant qu’ils ne s’imposent ou ne deviennent « à la mode » !
Si vous considérez ce qui occupe en ce moment le monde de l’art, songez que nous avons réalisé un numéro spécial mémorable « Art et Mode » en 1997 et un autre spécial en 2013 sur « les Mondes de l’art brut ». Je crois que nous avons gardé, depuis les années militantes du début, quand il fallait imposer au public, y compris de professionnels, certaines pratiques non-répertoriées, le sentiment que nous ne travaillions pas à côté des artistes, mais avec eux.
Par exemple : réaliser un dossier à l’initiative d’un artiste, à partir d’une idée qu’il nous aura apportée, ou même, c’est arrivé, lui consacrer un sujet en sachant que celui-ci viendra appuyer sa recherche de financement pour une production.
La ligne éditoriale d’Artpress embrasse non seulement les arts visuels, mais aussi la littérature, le cinéma et les sciences sociales. Quelle cohérence voyez-vous dans cette pluralité de champs culturels et intellectuels ?
Au tout début, je crois que cela tenait à la curiosité tous azimuts de ceux qui écrivaient dans Artpress autant qu’à l’émergence de nouvelles pratiques ; Artpress est contemporain de la naissance de l’art vidéo et de la performance. Et cette curiosité a rencontré des générations d’artistes touche-à-tout.
On peut être peintre et vidéaste, dessinateur et performeur, et beaucoup de monde aujourd’hui a envie d’expérimenter l’IA. En fait, nous partageons avec les artistes une culture commune et nous les suivons dans leurs amitiés.
Bruno Dumont est un lecteur de Péguy, nous avons édité des photographies de Michel Houellebecq, publié un entretien de Marc Desgrandchamps avec Bertrand Burgalat, un dialogue de Jacques Rancière avec Dominique Gonzalez-Foerster, un texte de Enrique Vila-Matas sur la même…
Dans un contexte médiatique en profonde mutation, comment Artpress peut-elle élargir et renouveler son audience, notamment auprès d’un public plus jeune ou plus international ?
Si le public de l’art contemporain s’est considérablement élargi ces dernières décennies, le nombre d’amateurs susceptibles de s’intéresser au contenu d’Artpress n’a pas augmenté en proportion ! Et c’est normal.
Qu’ils soient jeunes ou moins jeunes, franco ou anglophones, nos lecteurs, et nos lecteurs potentiels, s’ils sont évidemment plus nombreux qu’en 1972, ne constituerons jamais un public aussi large que celui des magazines de vulgarisation.
Ce serait une erreur de notre part de tenter de toucher ce public, nous risquerions de décevoir notre vrai lectorat, assez exigeant, si j’en crois certains courriers que nous recevons, réagissant parfois à des questions très « pointues ».
Mais évidemment, nous nous efforçons de toujours gagner quelques passionnés de plus. Et nous les gagnons. Artpress un des très rares titres à avoir légèrement augmenté nos ventes en 2024 (France Messagerie dixit).
Dans la situation actuelle de la presse écrite, c’est exceptionnel. Toutefois, nous cherchons à nous adapter aux nouvelles pratiques de lecture. Alors que nous disposons depuis quelques années d’une version liseuse du magazine, nous souhaitons maintenant créer une application mobile. Le projet est onéreux, raison pour laquelle nous avons lancé une collecte de dons sur la plateforme Ulule.
Votre rôle de rédactrice en chef s’entrelace avec votre activité d’écrivain. Comment ces deux pratiques - la direction d’une revue et l’écriture personnelle - se nourrissent-elles et se différencient-elles ?
Je ne me suis jamais sentie entravée pour donner mon opinion en tant que critique d’art, mais je dirais que l’écriture personnelle, la pratique de l’écriture en dehors du cadre journalistique, me fait me sentir encore plus libre d’une façon générale.
Ce qui n’est pas négligeable dans une époque qui voit les comportements intolérants et les stéréotypes idéologiques se multiplier, sans doute sous l’influence de ce qu’il est convenu d’appeler la « cancel culture », ceci dans un milieu où liberté d’expression et respect des singularités devraient au contraire régner. Ça permet de mieux résister.
L’économie de la presse culturelle est fragile et l’art contemporain lui-même est traversé par des enjeux financiers de plus en plus complexes. Quelle place occupe la réflexion sur “l’argent de l’art” dans vos pages et dans votre regard sur le champ artistique ?
Lorsque je me promène dans les allées d’Art Basel Paris, par exemple, j’ai vraiment l’impression d’être dans un autre monde, alors que nous avions accompagné la Fiac dès ses débuts ! Il me semble de plus en plus qu’il y a une fracture entre l’art contemporain tel que le pratiquent artistes, critiques, amateurs et collectionneurs et encore certains marchands, et le marché-international-de-l’art-contemporain tel qu’il s’affiche au rez-de-chaussée du Grand Palais.
Intérêts et motivations ne sont pas les mêmes, alors que les acteurs sont pour une part les mêmes. Dans cet espace, l’art contemporain est de l’entertainment pour gros budgets. On ne va plus au casino, on va dans une foire d’art. Évidemment, Artpress n’ignore pas le phénomène, publie régulièrement analyses et réflexions sur les foires, les galeries, toutes les galeries, les petites et les méga-.
Le marché de plus en plus concurrentiel a hélas des conséquences sur notre économie - puisque vous évoquez notre fragilité. Les revues d’art ont toujours vécu de leurs lecteurs et de leurs annonceurs. Concernant ces derniers, il était évident que les encarts publicitaires dans les revues spécialisées ne leur permettaient pas de vendre plus d’œuvres d’art, mais ils manifestaient leur intérêt pour la plus-value symbolique qu’études et comptes-rendus critiques apportaient aux œuvres qu’elles défendaient.
Or, de plus en plus de galeries aujourd’hui ne sont préoccupées que de plus-value tout court et préfèrent payer des attachés de presse ou des agences de communication qu’elles chargent d’obtenir dans la presse… de la pub gratuite !
Sans doute êtes-vous une exception, mais, malheureusement, un certain nombre de ces intermédiaires, qui ne connaissent pas toujours très bien l’art, ignorent que ça ne correspond pas à notre rôle et que ça nous prive d’une partie de nos ressources.
Avec le recul, quels seraient pour vous les combats éditoriaux ou les prises de position les plus marquantes d’Artpress ? Et quels sont ceux que vous jugez aujourd’hui essentiels pour continuer à faire de la revue un lieu critique vivant ?
Des dossiers qui ont fait date par le passé : La pornographie, les Nouveaux Philosophes, Sarajevo (pendant le siège), L’extrême droite attaque l’art contemporain, Le succès de l’art contemporain a-t-il un prix ?…
Mais jamais je n’aurais cru qu’en 2025, je devrais encore considérer comme des priorités absolues la défense de la liberté d’expression, le respect de la présomption d’innocence et, dans le domaine esthétique, la résistance à un large mouvement rétrograde, marqué par un goût académique.
Dernier livre paru :
SIMONE ÉMONET
Flammarion
DIRECTEUR DU MO.CO. MONTPELLIER CONTEMPORAIN
"Montrer la force d’un art contemporain exigeant et populaire"
Critique d’art, commissaire d’exposition, spécialiste en art contemporain, Numa Hambursin prendra ses fonctions à la tête du MO.CO. cet été. Il est attaché à promouvoir une culture de l’art contemporain exigeante et populaire. Il détaille sa vision d’une institution originale et sa mission de faire rayonner l’art contemporain dans Montpellier d’abord, et très au-delà…
À quelques semaines de votre prise de fonction, comment abordez-vous l’animation combinée d’une école des beaux-arts, d’un centre d’art et d’un lieu d’exposition, les trois entités du MO.CO. à Montpellier ?
Numa Hambursin : Mon mandat débute le 1er juillet, mais je suis déjà au travail. Le MO.CO. est une jeune institution, fragilisée par la pandémie, comme toutes les institutions culturelles.
Lire la suite >>>DIRECTEUR D’ART PARIS
"Art paris accueille les plus grandes galeries sans snober les galeries d’auteur"
En pleine préparation de l’édition 2021, qui se tiendra du 8 au 11 avril, le directeur d’Art Paris se réjouit d’accueillir plusieurs galeries internationales d’importance. Profitant de l’attraction nouvelle de Paris, Guillaume Piens fait subtilement évoluer le positionnement de l’événement, en valorisant l’image de « foire régionale » tout en renouant avec la pointe avancée de l’art contemporain.
Selon vous, pourquoi Art Paris enregistre-t-elle l’inscription de galeries prestigieuses, qui snobaient votre foire ?
Guillaume Piens : Il y a eu tout d’abord le succès de l’édition de septembre 2020, qualifié d’«insolent » par le Journal des Arts. Nous avons montré qu’il était possible d’organiser une grande foire par temps de pandémie, en tenant contre vents et marées. Nous récoltons les fruits de cette ténacité et ...
Lire la suite >>>Artiste
"Instagram m’a permis de vendre une série complète à une grande collectionneuse américaine"
Son exposition personnelle au Centre Matmut pour les arts, en Normandie, a temporairement fermé ses portes en raison de la pandémie. Qu’importe, l’artiste qui se joue de la photo entretient un lien de complicité avec ses followers, via son compte Instagram. Une visibilité autonome, construite avec méthode, qui lui servira pour trouver une galerie.
Votre premier post sur Instagram date du 30 octobre 2015. Comment avez-vous deviné l’importance de ce réseau social, dans le monde de l’art ?
Sabine Pigalle : Je n’ai rien deviné du tout ! A l’époque, j’alimentais ma page Facebook, ouverte en 2008 et je ne voyais pas l’intérêt de migrer vers un autre réseau social.
Avant d’en prendre conscience, j’ai observé, j’ai tâtonné. Mes premiers posts parlaient surtout de la Normandie où je vis, de mes amis et des ...
Lire la suite >>>COLLECTIONNEUSE
"Le mécénat privé apporte une singularité qui manquerait aux institutions publiques"
Pour sa première action de mécénat, la collectionneuse Sophie Javary a choisi une œuvre d’Agnès Thurnauer. En permettant l’installation des "Matrices/Chromatiques" au musée de l’Orangerie, pour dix ans, elle offre une visibilité à une femme artiste et, au public, une réflexion contemporaine sur le langage.
En pleine crise sanitaire et économique, vous venez de financer une importante pièce d’Agnès Thurnauer pour le musée de l’Orangerie. Quel déclic a fait, de la collectionneuse que vous étiez, une mécène ?
Sophie Javary : Le goût de l’art contemporain m’est venue, adolescente, lors de stages de poterie au chateau de Ratilly. Grâce aux époux Pierlot, qui organisaient des expositions dans ce château bourguignon du 13ème siècle, j’ai découvert Genevieve Asse, Viera da silva. Calder. Arpad Szenes.
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Restitution des œuvres d’art : « Il est urgent de réinventer une nouvelle forme de gouvernance culturelle »
Par FRANÇOIS BLANC
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"Bien communiquer est un art à forte valeur ajoutée"
Par FRANÇOIS BLANC
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