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NUMA HAMBURSIN, NOUVEAU DIRECTEUR DU MO.CO. MONTPELLIER CONTEMPORAIN, "MONTRER LA FORCE D’UN ART CONTEMPORAIN EXIGEANT ET POPULAIRE"
Artistes | Arts | Institutions
François Blanc | 07.01.2021 | 16:00


FRANÇOIS BLANC
Fondateur de Communic'Art
BIOGRAPHIE >>

Critique d’art, commissaire d’exposition, spécialiste en art contemporain, Numa Hambursin prendra ses fonctions à la tête du MO.CO. cet été. Il est attaché à promouvoir une culture de l’art contemporain exigeante et populaire. Il détaille sa vision d’une institution originale et sa mission de faire rayonner l’art contemporain dans Montpellier d’abord, et très au-delà…

 

À quelques semaines de votre prise de fonction, comment abordez-vous l’animation combinée d’une école des beaux-arts, d’un centre d’art et d’un lieu d’exposition, les trois entités du MO.CO. à Montpellier ?

Numa Hambursin : Mon mandat débute le 1er juillet, mais je suis déjà au travail. Le MO.CO. est une jeune institution, fragilisée par la pandémie, comme toutes les institutions culturelles.

Ma mission est d’aider à la faire grandir, c’est-à-dire de veiller à l’avenir des étudiants de l’École des beaux-arts et à la diffusion de notre programmation artistique, à l’Hôtel Montcalm comme à la Panacée.

Avec les équipes de ces trois entités, je compte rapidement développer l’indispensable synergie du MO.CO. Après de longs mois de distanciation culturelle, Montpellier a besoin de se retrouver autour des œuvres et des artistes.

 

Vous parlez d’agir dans le sens d’une médiation exigeante et populaire. Quels enseignements avez-vous tirés de votre action à Cannes, où vous avez imaginé, notamment, le futur centre d’art qui ouvrira en 2024 sur la Croisette ?

Numa Hambursin : Mon action à Cannes, à la tête du Pôle art moderne et contemporain – comptant notamment trois lieux d’exposition –, était le prolongement de deux décennies de passion et d’engagement pour l’art contemporain. À Cannes, commune protéiforme et inclassable, j’ai tenté d’innover, de fédérer un public autour d’une identité, y compris hors les murs.

À l’échelle de Montpellier, je sais que le défi est le même et qu’à nouveau, le rôle d’un directeur sera de stimuler les initiatives, d’innover.

D’abord galeriste, j’ai organisé entre 2010 et 2017 des expositions au Carré Sainte-Anne et à l’Espace Dominique Bagouet. Les expositions de Carole Benzaken, Robert Combas, Jean-Michel Othoniel, Chiharu Shiota et beaucoup d’autres ont enthousiasmé des dizaines de milliers de visiteurs. Depuis 2016, j’assume la direction artistique de la Fondation GGL HELENIS, première fondation d’entreprise de l’Hérault.

Ces expériences diverses ont formé une conviction qui mêle des considérations artistiques et politiques. Lorsqu’une institution publique s’empare de l’art contemporain, elle doit marcher sur une crête : être à la fois exigeante et populaire, sans verser dans le populisme.

 

Quel est, selon vous, ce qu’il est crucial de mettre en œuvre pour réussir ce défi difficile, et parfois controversé, d’une démarche de médiation qui soit à la fois exigeante et populaire ?

Numa Hambursin : La conviction que je souhaite partager, c’est qu’il faut mettre toute notre énergie en action pour convaincre chacun « d'entrer » dans l'art contemporain, y compris ceux qui ne se sentent pas spontanément concernés.

La posture bienveillante et passive qui consisterait à mettre en place une politique tarifaire avantageuse, par exemple, ne suffit pas. Il faut aller chercher les nouveaux publics, notamment scolaires, de la primaire au baccalauréat, avec une détermination de hussard ! Appeler le rectorat, les directeurs d’établissement, les enseignants eux-mêmes, les écouter et les convaincre : rien n’est plus efficace que le lien direct et personnel !

Contester une telle évidence, se résoudre à ne s'adresser qu'au monde de l'art lui-même, ce serait accepter comme un fait accompli le divorce entre une immense partie de la population et l'art contemporain, c'est-à-dire l'art de notre temps. Ce n’est pas l’ambition du MO.CO.

 

En tant que directeur artistique de la Fondation GGL HELENIS, vous avez porté la rénovation de l’Hôtel Richer de Belleval à Montpellier. Le choix des artistes était assurément exigeant. Quelle en était la dimension populaire ?

Numa Hambursin : Dans ce lieu d’exception, destiné à abriter un hôtel, un restaurant et la fondation, la dimension économique se doublait d’une ambition patrimoniale.

Au fil de la rénovation, nous avons découvert des fresques exceptionnelles du XVIIe siècle, qui avaient disparu de la mémoire collective. Il fallait que les thèmes des œuvres d’art contemporain produites aient une portée universelle – l’amour, la mort, le temps, l’histoire, la transcendance –, qu’elles soient pensées pour les siècles. Finalement, je voulais qu’elles s’adressent à la fois à nos contemporains et aux générations futures.

En invitant Jim Dine, Marlène Mocquet, Jan Fabre, Abdelkader Benchamma et Olympe Racana-Weiler à créer des œuvres originales, il s’agissait de parler « urbi et orbi ». Ces artistes assument tous une continuité historique depuis la Renaissance et revendiquent dans leur démarche la quête du chef-d’œuvre.

 

Les codes des expositions elles-mêmes sont parfois excluants. Comment, selon vous, mettre le plus de monde à l’aise dans la découverte d’une exposition d’art contemporain, surmonter les inhibitions et les incompréhensions ?

Numa Hambursin : La scénographie, les catalogues, la présentation des œuvres… tous les aspects de chaque exposition doivent s’inscrire dans cette visée de conquête de publics peu familiers de l'art contemporain, avec humilité et pédagogie.

Je tiens tout particulièrement à la clarté des cartels, des textes et des visites guidées. Je crois aussi qu’il est toujours fructueux de faire le lien entre art et littérature, art et histoire, art et société.

L'entrée des sciences sociales dans le champ de l'art contemporain, parfois mal digérées, comme l’explique Carole Talon-Hugon dans son livre L'artiste en habits de chercheur, a pu faire naître un discours jargonnant, voire autoritaire.

Avec l'aide de « passeurs » offrant des portes d'entrée qui ne soient pas autoréférencées, qui se préoccupent également de littérature ou de beauté, c'est cette incompréhension que je souhaite, à ma modeste échelle, dissiper. Je veux croire qu'il est possible de « penser par le regard ».

 

Pourquoi souhaitez-vous, toujours dans un souci de médiation, de bonne compréhension du travail des artistes, privilégier les expositions monographiques ?

Numa Hambursin : Les expositions monographiques suscitent un lien direct et authentique avec une œuvre et avec l’acte de création. Les intermédiaires – propriétaires des œuvres ou commissaire d’exposition – restent dans l’ombre ; c’est l’artiste qui doit être dans la lumière.

Le cheminement d'un artiste dans sa singularité offre une grille de lecture accessible et claire, comme la trame narrative d’un roman, sans empêcher les digressions et les ruptures temporelles.

Je suis né dans l’art contemporain et j’ai fréquenté les ateliers des artistes depuis mon plus jeune âge. Cette familiarité avec leur travail au quotidien, leurs doutes, la volatilité des carrières m’a donné un grand recul par rapport aux phénomènes de mode et d’immédiateté.

En construisant une exposition autour d’un artiste, c’est l’occasion pour tous, grand public, amateurs, professionnels, de s’interroger sur un parcours singulier et sa résonance historique ou sociétale. Les artistes ont beaucoup à nous apprendre sur le monde et sur nous-mêmes.

 

Vous ne souhaitez tout de même pas abandonner les expositions thématiques parce qu’elles seraient nécessairement élitistes ? Comment allez-vous permettre de les rendre toujours plus accessibles au public ?

Numa Hambursin : Mon projet se veut équilibré et nuancé, et je n’ai pas le goût de tels oukases, dès lors que l’objectif est clair : la conquête de nouveaux publics peu familiers de l'art contemporain et, en particulier, issus des classes dites populaires.

Lors du processus de désignation du directeur, j’ai fait observer que certains choix de programmation passés, comme celui de l’Hôtel des Collections, exclusivement consacré au dévoilement de collections privées internationales, participaient d’une vision intimidante de l’art contemporain.

Je précise que je n'ai aucune opposition de principe à ce type d'expositions, en ayant moi-même conçu plusieurs par le passé. Mais bâtir toute une ligne artistique sur la figure du « grand collectionneur », elle-même célébrée par de « grands curateurs », c’est véhiculer l’image d’un art contemporain de « l’entre-soi ». C’est pour cela que je souhaite élargir et diversifier le programme d’exposition.

Néanmoins, nous pourrons continuer à proposer des collections privées à Montcalm dans l'avenir, comme des expositions thématiques réunissant différents lieux. Je souhaite également que l'aspect « laboratoire artistique » soit conservé à la Panacée, et même davantage tourné vers la jeune création, les questions sociétales et politiques.

La structure du MO.CO. permet de traiter l'art contemporain dans toute son étendue, dans tous ses enjeux.

 

Quelle est la spécificité de la formation des étudiants des Beaux-Arts de Montpellier dans l’écosystème MO.CO., et comment comptez-vous lui permettre d’exprimer et d’exercer tout son potentiel ?

Numa Hambursin : J'ai toujours dit que l'un des points forts du MO.CO. a été d'intégrer l'Esba au dispositif. Cette spécificité demeurera. Être associé à deux centres d’art offre aux étudiants la possibilité de se frotter aux réalités institutionnelles de l’art contemporain par des rencontres, des échanges, mais aussi par des stages ou des missions professionnelles.

Au contact d’autres artistes, mais aussi de curateurs, de collectionneurs et de galeristes, les étudiants découvrent l’ensemble du milieu de l’art et s’ouvrent des portes. En ce qui concerne la connexion avec les lieux d’exposition, elle doit bien sûr être poursuivie et renforcée : accès privilégiés, participation aux montages d'expositions, master classes, conférences, programme d’ateliers post-diplôme…

Ce qui existe sera conservé et mes réseaux permettront de catalyser de nouvelles énergies. Un exemple : Barthélémy Toguo m’a déjà contacté pour organiser un partenariat avec Bandjoun Station, au Cameroun, et accueillir des étudiants de quatrième et cinquième années en résidence artistique d'un mois.

Ceci étant, la formation est avant tout l’affaire de l’équipe pédagogique et je ne pense pas qu’un directeur d’institution doive interférer dans l’enseignement. La spécificité des Beaux-Arts à la française est que la formation des artistes soit faite par des artistes. L’Esba a, de ce point de vue, une histoire très riche. Je fais confiance aux professeurs.

 

S’agissant de l’art de la rue, quels artistes de Montpellier ou d’ailleurs souhaitez-vous valoriser dans le monde de l’art contemporain ?

Numa Hambursin : Les Montpelliérains savent que notre ville est historiquement un spot phare de l’art urbain en France. Sans vouloir orienter le MO.CO. vers l’urban art, je souhaite l’interroger à travers une exposition qui explorerait cette branche si populaire de la création contemporaine, sans tabou ni a priori. Je ne parviens pas à comprendre pourquoi les grandes institutions françaises sont si prudentes sur la question.

Quelles sont les racines historiques de l'art urbain ? Comment le définir par rapport à l’art contemporain ? Il faudrait examiner l’émergence en son sein d’une scène féminine, mais également son importance géopolitique au Proche-Orient, en Afrique, en Amérique latine ou même chez nous, aux Antilles ou à La Réunion.

Il faudrait discuter de ses qualités esthétiques, de ses dérives spéculatives, de son influence sur des artistes qui ne se revendiquent pas de la rue.

J’ai proposé de mettre, le temps d’une exposition, les artistes urbains au musée et les artistes plus « traditionnels » dans la rue. Là encore, c’est un projet que je souhaite construire en concertation avec les équipes, mais aussi en partenariat avec d’autres lieux dans la ville. Voilà, me semble-t-il, une manière différente de penser l'art contemporain.

 

Quel rôle pourrait jouer le MO.CO. pour favoriser la cohésion sociale au sein de la Métropole montpelliéraine ?

Numa Hambursin : Le MO.CO. est perçu aujourd'hui comme une institution de centre-ville. Cela doit changer, quitte à trouver les leviers financiers pour y parvenir.

Pour être efficace, le mouvement doit être double : du MO.CO. vers les périphéries, des périphéries vers le MO.CO. Il faut relier à nous la Paillade, le Petit Bard et les quartiers populaires de Montpellier, mais également les communes de la Métropole, petites villes et villages, dont je rappelle que la participation financière à l'institution est capitale.

Je souhaite que les médiateurs et les curateurs du MO.CO. ne se cantonnent pas à la Panacée ou à l'Hôtel des Collections, mais qu'ils puissent se déployer, grâce à des conférences ou des expositions, en cavaliers légers, sur des quartiers ou des communes sans présence aujourd’hui de l'art contemporain.

Je souhaite également la création d'un bus dédié, sur le modèle de « Destination Mucem » à Marseille, afin de favoriser l'accès au musée d'établissements scolaires situés dans des zones périphériques, où la problématique du transport limite la venue en centre-ville.

 

Votre ambition est de « faire rayonner le MO.CO. hors les murs », mais aussi hors la communauté territoriale. Imaginez-vous placer les institutions montpelliéraines sur la carte de l’art contemporain international ?

Numa Hambursin : Le MO.CO., qui ne possède pas d’œuvres, est une institution « horizontale » qui a la capacité de fédérer l’art contemporain à travers la ville.

Montpellier est une ville méditerranéenne, où l’on vit dehors et qui peut être un musée à ciel ouvert. On doit pouvoir développer la présence d’œuvres d’art dans l’espace public, solliciter des artistes pour des œuvres qui seront à la portée de tous.

D’expérience, je sais qu’une fois que l’art contemporain est entré dans les esprits, cette première bonne impression appelle d’autres contacts, d’autres découvertes.

Avoir une approche internationale ne doit pas seulement relever de la posture. Cela doit passer par des actions très concrètes avec, là encore, un double mouvement. Il faut d’abord s’inscrire dans le circuit de l’art contemporain mondialisé en présentant des artistes déjà reconnus sur la scène internationale.

Mais il faut aussi, pour susciter l’intérêt des visiteurs étrangers, mettre en avant notre scène nationale. Les collectionneurs et galeristes étrangers me disent souvent qu’ils sont curieux de découvrir les spécificités de la scène française, insuffisamment défendue.

Je compte faire défiler à Montpellier, que ce soit dans les deux centres d’art ou à l’École des beaux-arts, ce que le monde de l’art français et étranger compte de plus excitant à ce jour.

 

MO.CO.
Hôtel des Collections
13 rue de la République - Montpellier
www.moco.art/fr

MO.CO. PANACÉE
Laboratoire de la création
14 rue de l’École de Pharmacie - Montpellier
www.moco.art/fr/moco-panacee

MO.CO. ESBA
École supérieure des beaux-arts
130 rue Yéhudi Ménuhin - Montpellier
www.moco.art/fr/esba

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Éric de Chassey, DIRECTEUR DE L’INHA, "L’HISTOIRE DE L’ART DOIT JOUER UN RÔLE CITOYEN"
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FRANÇOIS BLANC | 17 Février 2022 | 06:02

Éric de Chassey, 2020 © Institut national d’histoire de l’art. Photo Jean Picon

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