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Aurélie Deguest investit l’atelier de la Loo & Lou Gallery (Paris) et dévoile le fruit de ses recherches.

Aurélie Deguest a un rapport quasi donjuanesque à la peinture. Elle se sent parfois un cœur à peindre tout ce qui s’offre à son regard. C’est sans doute le caractère protéiforme de ses dons de peintre, qui lui ont permis de conquérir avec une facilité surprenante toutes les techniques de cet art, afin d’en honorer la plupart des motifs et des styles.
Les quatre œuvres présentées dans l’atelier de la Loo & Lou Gallery, témoignent ainsi d’une mise en crise radicale de sa démarche : ici, pas de cadre, ni de titre, pas de calligraphie, pas d'espace, ni de temps, aucun objet, aucun sujet, ni de dessin explicite... Aurélie Deguest parvient à forclore de la surface de la toile, ce qui n'est pas propre à la seule peinture ; isolant ainsi l'œuvre de toute référence extérieure.
Sa peinture ne propose nullement une vue distanciée à caractère illustratif, voire paysagiste de l’élément aquatique, mais semble plonger le regard du spectateur dans la viscosité insaisissable d’une eau profonde. D’où le caractère japonisant de certaines de ses œuvres, qui peuvent évoquer, par ailleurs l’esprit de la peinture chinoise, dont le philosophe François Cheng disait qu’elle « saisit le monde au-delà de ses traits distinctifs et dans sa transition essentielle ».
Pour conjurer l’espace vide d’un fond uniformément blanc, elle recouvre sa toile d’une trame préparatoire à sa peinture, en usant quelquefois de bandes de toiles noires, impulsant un rythme visuel à sa future composition.
A la fois méditative et matiériste, chaque composition peut, alors, suggérer tout à la fois la surface d’une eau en proie à la fluidité de son ressac incessant, l’empreinte d’une peau de pachyderme ou la mue d’un reptile, les plissements telluriques d’une concaténation de lave refroidie. Épiderme de la terre et mémoire des étoiles, la toile prend aussi des allures de tapisserie ensorcelée, enveloppant dans ses plis infinis, un feuilletage de toiles mêlées à l’épaisseur de la peinture séchée.
La surface du tableau se gaufre, alors, des anfractuosités d’un paysage stellaires, sillonné de crêtes, et de crevasses éruptives.
En renonçant à encadrer et à tendre ses toiles sur un châssis, l’artiste se libère, enfin, du symbole d’une peinture surcodée, où règne encore l’emprise d’une fonction imageante trop exsangue à son goût.
La tonalité nocturne des toiles d’Aurèlie Deguest laisse entrevoir, parfois, des formes évanescentes à la manière d’un spectre d’Ophélie. Cette peinture semble, alors, se jouer dans d’entre-deux obscur de la matière et du songe, de la présence et de l’absence, plongeant ses ombres errantes dans la profondeur des eaux du Styx, dont la légende dit qu’elles permettaient d’emporter les âmes défuntes vers le royaume des morts.
En choisissant d’installer sa peinture dans l’atmosphère nocturne, la peintre sait sûrement que la nuit est aussi ce pathos propice à toutes les renaissances. Novalis n’appelait-il pas la nuit le « lieu des révélations » (Offenbarungen) ; dans lequel le germe travaille au cœur des profondeurs maternelles du sol où se prépare son avènement à la lumière.
L’artiste invite ainsi le spectateur à laisser son regard errer au gré des surfaces de ses toiles, en retrouvant peut-être ces sensations perdues que nous apportons tous en naissant.